François-Xavier Bellamy: il est nécessaire de renforcer le soutien apporté à l’Arménie par le biais du Fonds européen pour la paix

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BRUXELLES, 22 JANVIER, ARMENPRESS.  L'Arménie fait face à des défis complexes et sérieux qui menacent sa sécurité, sa souveraineté et ses valeurs démocratiques. Dans ces conditions, l'Europe a le devoir d'agir, en soutenant le peuple arménien en cette période cruciale, en renforçant ses liens avec l'Europe et en garantissant ses droits et sa sécurité.

C'est ce qu'a déclaré le député français François-Xavier Bellamy lors d'une interview avec la correspondante d'« Armenpress » à Bruxelles.

Selon le député, l'Arménie est non seulement un partenaire stratégique pour l'Europe, mais aussi un symbole de résilience démocratique face aux menaces autoritaires. Bellamy est convaincu que l'Union européenne a une responsabilité historique de soutenir l'Arménie en prenant des mesures concrètes et en isolant les régimes autoritaires de la région.

Monsieur Bellamy, les récentes déclarations d’Aliyev, visant directement les membres de la mission de surveillance de l’UE opérant sur le territoire souverain de l’Arménie, constituent également une menace envers chaque État membre de l’Union européenne. Cependant, la réaction de la Commission européenne à ces menaces explicites s’est limitée à un appel aux parties pour négocier de bonne foi et éviter une rhétorique agressive. Pourquoi l’Union européenne n’est-elle pas en mesure de répondre de manière appropriée à ces menaces qui lui sont directement adressées ?

C'est malheureusement la Commission européenne qui, depuis longtemps, nous le savons bien, ne veut pas réagir avec la fermeté qu'il faudrait face aux comportements de l’Azerbaïdjan. Le Parlement européen, lui, pour le coup, a été bien plus clair et bien plus ferme, y compris à quelques semaines du début de la COP 29, dans une résolution qui a été très largement adoptée et qui condamnait en particulier ces menaces. Nous demandons des mesures de rétorsion extrêmement simples et rapides, et en particulier, je crois, à l'égard de la diplomatie de l’Azerbaïdjan.

Sans doute vous souvenez-vous que, dans le même contexte, l'ambassadeur d’Azerbaïdjan à Bruxelles avait menacé de manière directe des parlementaires qui s'étaient rendus à cette même frontière, des parlementaires européens qui avaient observé la mission européenne sur le territoire de la République d'Arménie. Cela leur avait valu la publication d'une image d’un sniper par l'ambassadeur, censé représenter son pays auprès des institutions européennes, indiquant que c'est ce à quoi s'exposerait tout parlementaire qui reviendrait dans les missions.

On voit bien cette rhétorique de l’Azerbaïdjan aujourd'hui, celle de Monsieur Aliyev lui-même. Cela ne nous intimide pas. Mais en effet, pour nous, le sujet décisif maintenant, c'est que la Commission européenne agisse enfin. Et là, la première action — peut-être ce qui explique cette passivité —, c'est de dénoncer le contrat gazier scandaleux qui lie la Commission européenne au régime de Bakou. Si la Commission est si discrète, c’est sans doute parce qu’elle s’inquiète d'une réaction trop claire de sa part, car elle se sent dépendante de cet accord gazier, ce qui est une pure illusion.

L’Azerbaïdjan dépend beaucoup plus de l'Europe que l'Europe ne dépend de l’Azerbaïdjan.

Est-ce que vous pensez que la rupture entre le Parlement et la Commission est principalement due à ce besoin énergétique ? On peut constater que la résolution que vous avez mentionnée n’est ni la première ni la dernière. Récemment, il y en a eu au moins une dizaine, toutes assez claires dans leurs condamnations et leurs appels à agir. Comment expliquez-vous alors que les demandes du Parlement n’aient pas été appliquées par la Commission ?

Malheureusement, sur ce sujet en particulier, il y a évidemment un problème majeur qui ne se pose pas, par exemple, lorsqu’il est question de condamner l’attaque de la Russie contre l’Ukraine. Dans ce cas-là, je crois que la Commission a été alignée avec le Parlement pour mettre en œuvre les sanctions décidées.

Pourquoi permet-on à Monsieur Aliyev d'avoir recours à la violence pour imposer ses intérêts contre le peuple arménien, alors qu’à juste titre, on refuse cela lorsqu’il s’agit de Monsieur Poutine et du peuple ukrainien ? Je crois qu’il est temps que la Commission comprenne enfin que, d’un point de vue géopolitique, il s’agit en réalité du même enjeu : celui de la préservation du droit international et de la crédibilité de l’Europe lorsqu’elle doit soutenir des démocraties attaquées.

Je pense que l’Arménie est aujourd’hui aussi attaquée parce qu’elle est une démocratie et parce qu’elle est liée à l’Union européenne par cet héritage commun, cet héritage de civilisation. C’est un enjeu de crédibilité pour l’Europe, mais aussi un enjeu de sécurité.

Vous êtes vice-président du plus grand groupe politique du Parlement européen. Cette question figure-t-elle à l’ordre du jour de votre groupe ? Si oui, quelles mesures concrètes proposez-vous pour exercer une pression sur l’Azerbaïdjan ?

Il faut prendre un peu de recul historique. Peut-être que l'inaction de la Commission a quelque chose de désespérant. Mais je crois qu'à force de travailler, on finira par obtenir que cela change, comme les choses ont déjà changé au Parlement européen. En 2020, quand la guerre de 44 jours a eu lieu, nous étions très peu nombreux à nous préoccuper de la situation de l'Arménie au Parlement. Nous étions vraiment quelques-uns, et le lobbying de l’Azerbaïdjan était très organisé, très puissant. Je me souviens de l'ironie de ceux qui relayaient ce lobbying. Aujourd'hui, à force de travail avec nos amis arméniens – parce qu'ils ont été forts dans ces années, et j'espère aussi grâce à notre engagement quotidien –, les choses se sont renversées. Maintenant, ils ne sont plus qu'une toute petite minorité à encore oser soutenir l'Azerbaïdjan, et ils le font avec beaucoup de difficultés, sans vraiment en être fiers, parce qu'ils voient bien qu'ils ont perdu cette bataille.

La Commission, c'est la prochaine étape. Nous voulons la dénonciation du contrat gazier. J'ai été le premier à porter ce sujet au Parlement européen, et mes amendements ont été adoptés il y a déjà deux ans. Pour la première fois, le Parlement avait alors voté la nécessité d'imposer des sanctions à Monsieur Aliyev et à son régime. Je crois que c'est une condition essentielle, non seulement pour protéger l'Arménie, qui est aujourd'hui directement menacée, mais aussi pour le peuple d'Azerbaïdjan, qui est directement victime de ce régime oppresseur.

Nous sommes au début de l'année, on se souhaite le meilleur, mais il faut le dire aussi avec cet espoir : personne n'aurait imaginé que le régime de Bachar el-Assad allait s'effondrer. On voit bien que lorsqu'un régime s'enlise dans la violence, à l'intérieur de ses frontières contre son propre peuple, et à l'extérieur pour opprimer ses voisins, ce régime, même avec beaucoup d'argent et de corruption, finit par tomber. Je crois qu'aujourd'hui notre devoir – le devoir de l'Union européenne – n'est pas de pactiser avec le régime d’Aliyev, mais de faire en sorte que ce régime, qui écrase de manière si évidente les droits fondamentaux sur son sol et en dehors, soit fragilisé, isolé, et finisse par être emporté.

Le gouvernement arménien a récemment approuvé l’intention de soumettre une candidature pour adhérer à l’Union européenne. Le projet de loi sera bientôt discuté au Parlement arménien. Quelle est votre évaluation à ce sujet ? Pensez-vous que les ambitions de candidature de l’Arménie puissent être réalistes, et quelle pourrait être la position de l’UE sur cette question ?

D'abord, je voudrais souligner l'incroyable chemin parcouru dont cette candidature témoigne, ainsi que le courage de ce choix politique fait par le peuple arménien. En 2020, lorsque je parlais de l'Arménie, tous ceux qui m'entendaient me répondaient qu'elle était dans le camp de la Russie et que, par conséquent, il n'y avait pas de lien à espérer avec le monde occidental. Aujourd'hui, on voit un choix inédit à cet égard, dont il faut souligner l'importance. Cela fait longtemps que je discute de cette question avec des Arméniens, des responsables politiques, mais aussi avec des représentants de la société civile arménienne. Il y a deux ans, j'ai eu l'occasion d'accueillir à Bruxelles un groupe d'intellectuels, d'acteurs de la vie économique et de journalistes pour discuter du chemin européen pour l'Arménie.

Je voudrais dire, avec toute l'amitié que j'ai pour le peuple arménien, qu'il faut aborder les choses avec franchise. La première chose à dire aux Arméniens, c'est que l'élargissement en Europe est aujourd'hui en panne. Cela fait bien longtemps qu'il n'y a pas eu de nouvel élargissement. Les pays candidats depuis de très longues années se retrouvent piégés dans un processus interminable. Ce processus d'élargissement me semble structurellement défaillant pour de nombreuses raisons. Du côté des Européens, une raison très visible est, par exemple, le fait que la Turquie soit encore aujourd'hui candidate à l'adhésion. Cela montre bien que ce processus est devenu technocratique, artificiel, et ne reflète plus la dynamique que l'Europe devrait retrouver pour regagner en crédibilité. Depuis des années, je demande – nous demandons – la dénonciation de cette négociation d'adhésion avec la Turquie.

Je me souviens qu'en 2020, alors que la Turquie était directement impliquée dans la guerre des 44 jours, des réunions régulières sur les chapitres d'adhésion entre la Turquie et l'Union européenne avaient lieu en parallèle. Cela me révolte de voir une telle contradiction. L'élargissement est en panne, et l'Europe elle-même est traversée aujourd'hui par des vulnérabilités internes. C'est pourquoi la position que je défends avec ma famille politique en France est la suivante : il me semble que le plus important pour l'Europe aujourd'hui est d'abord de se réformer, plutôt que de s'élargir.

Nous avons déjà du mal à décider sur des sujets majeurs et à trouver des procédures pour agir rapidement. On le voit dans la situation géopolitique actuelle, avec tous les défis que représentent les relations avec les États-Unis, par exemple. En France, je défends l'idée qu'il ne faut pas poursuivre l'élargissement, du moins dans le contexte et le périmètre actuels. C'est pourquoi je voudrais dire à mes amis arméniens que, bien que je mesure l'importance de cette candidature, je ne voudrais pas qu'on se retrouve dans une situation similaire à celle d'autres pays qui tournent en rond dans des négociations interminables, créant une frustration légitime.

Cependant, dire que l'élargissement n'est pas pour demain ne signifie pas qu'on ne peut rien faire. Au contraire, l'élargissement est une perspective théorique, mais nous devons nous concentrer sur le concret. Et sur le concret, il y a tant à faire. Je pense, par exemple, à quelques sujets précis.

Le premier sujet, sur lequel nous avons déjà beaucoup avancé, est la sortie de l'Arménie de la liste noire de l'Union européenne en matière de trafic aérien. L'Union européenne avait classé l'Arménie hors de ses standards de sécurité aérienne, ce qui posait un énorme problème. Je me souviens que, lors de mon premier voyage en Arménie, des jeunes entrepreneurs arméniens m'avaient expliqué à quel point cette situation compliquait et augmentait le coût des exportations vers l'Union européenne. Aujourd'hui, de nouvelles perspectives d'échanges économiques s'ouvrent, et il faut continuer à travailler sur ce type de sujet concret.

Le deuxième élément est la libéralisation des visas. Nous avons maintenant une relation de confiance et de coopération solide avec l'Arménie en matière de sécurité. Ce qui s'est passé récemment à l'aéroport de Erevan montre que nos forces de sécurité peuvent bien travailler ensemble. La libéralisation des visas est une étape très importante pour le rapprochement de nos pays.

Sur le plan commercial, nous avons la chance d'observer en Arménie une croissance exceptionnelle, ainsi qu'une génération incroyablement compétente, notamment dans le domaine du digital. Ces points offrent d'immenses opportunités de coopération. Travailler ensemble dans ces domaines peut également renforcer la sécurité commune, car si de nombreuses entreprises européennes s'implantent en Arménie, cela crée une dissuasion supplémentaire face à de potentielles attaques futures.

La question de la sécurité reste centrale. Deux sujets majeurs méritent notre attention. D'abord, le maintien de la mission européenne. Cette mission, même si elle est ciblée par de nombreuses attaques, prouve son utilité et doit absolument être renouvelée. Ensuite, il faut renforcer la facilité européenne pour la paix, notamment en fournissant des munitions, des équipements, des véhicules et des outils de protection aux forces arméniennes. Cela renforcerait la sécurité du pays et marquerait un choix géopolitique important pour l'Europe.

Ainsi, l'élargissement reste une perspective symbolique importante. Mais nous ne devons pas concentrer tous nos espoirs sur ce sujet. Le plus important est ce que nous pouvons faire dès maintenant, de manière concrète et tangible, pour renforcer les liens entre l'Arménie et l'Europe.

 

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