Le ministre arménien des Affaires étrangères présente « Carrefour de la paix » à Raisina Mediterranean
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Le 12 juin, le ministre des Affaires étrangères de l'Arménie, Ararat Mirzoyan, a participé à la séance inaugurale de la conférence « Raisina Mediterranean » à Marseille, organisée par les partenaires indiens et français. Le ministre Mirzoyan et le ministre des Affaires étrangères de l'Inde, Subrahmanyam Jaishankar, ont participé conjointement à une table ronde intitulée « La prochaine relation spéciale : Approfondir le partenariat stratégique entre l'Indo-Pacifique et l'Europe ». Le ministère des Affaires étrangères a publié la transcription des questions posées au ministre Mirzoyan et ses réponses.
Question - Vous savez, lorsque je me préparais pour cette table ronde, je me trouvais à Erevan et j'ai entendu le Premier ministre s'exprimer. Son discours, qu'il a prononcé dans un style très Steve Jobs, avec une télécommande à la main et une présentation à l'écran, portait entièrement sur la connectivité. Et dans un certain sens, le ministre Mirzoyan a parlé de l'importance de la connectivité pour diversifier et renforcer la résilience, n'est-ce pas ? Alors, comment l'Arménie, qui a une géographie asiatique et une âme européenne, je ne sais pas comment décrire cela au mieux, mais c'est peut-être une bonne description, comment l'Arménie voit-elle ce nouveau moment, où il y a une soif de connectivité, une soif de diversification et un rôle pour les pays ?
Ararat Mirzoyan - Bien, merci pour cette question. Tout d'abord, je tiens à présenter mes condoléances aux familles des personnes qui ont perdu la vie dans l'accident d'avion en Inde, et je vous remercie pour cette invitation. La première chose que je voudrais souligner, c'est que l'Arménie se réjouit de voir que la France et l'Inde sont déjà devenues des partenaires stratégiques, et que l'Europe et la région indo-pacifique ont un intérêt mutuel très fort, un grand intérêt à approfondir leurs liens. Et bien sûr, cette satisfaction a ses raisons. La première raison évidente : nous avons des relations stratégiques avec la France, nous approfondissons nos relations avec l'Union européenne et nous avons des relations stratégiques avec l'Inde. Là encore, nous approfondissons considérablement nos relations. La deuxième raison évidente est la suivante : lorsque vous regardez la carte, vous voyez l'Europe, vous voyez l'Inde, et il y a quelques pays entre les deux. L'Arménie se trouve donc entre les deux. Si vous voulez relier la France et l'Inde, et je salue l'intervenant précédent et le représentant de l'entreprise, la mer est l'une des voies possibles. Malheureusement, ce n'est pas toujours rapide, et de nos jours, ce n'est probablement pas toujours sûr non plus. Il existe également des voies terrestres. Et ici, l'Arménie occupe une place très importante : l'Arménie est située dans le Caucase du Sud, entre l'Europe et l'Inde. Nous encourageons les projets de connectivité. Nous investissons des sommes considérables dans nos infrastructures.
De plus, l'Arménie a quatre voisins : la Géorgie au nord, l'Iran au sud, l'Azerbaïdjan à l'est et la Turquie à l'ouest. Nous entretenons d'excellentes relations avec deux de ces quatre pays, la Géorgie et l'Iran, et nous essayons de normaliser nos relations avec l'Azerbaïdjan et la Turquie, dans la perspective d'ouvrir les frontières, d'établir une liaison ferroviaire et, même si nous donnons un nom très spécifique à ce projet, la partie infrastructure, le « Carrefour de la paix ». Nous essayons donc de créer un environnement de paix et de prospérité autour de l'Arménie afin que tout le monde puisse en bénéficier, non seulement l'Arménie, l'Azerbaïdjan, la Turquie, la Géorgie et l'Iran, mais aussi l'ensemble de la région. Si vous voulez relier l'Inde et la France, je dois dire que vous devez prêter une attention particulière à ce qui se trouve entre les deux, car il existe un espace et un environnement où vous pouvez vous reposer, faire le plein, puis poursuivre votre voyage.
Question- Monsieur le ministre, les projets de connectivité au sens large s'intéressent aujourd'hui également à la connectivité numérique, à la connectivité des connaissances et à la connectivité de l'innovation. Êtes-vous très impressionné par le secteur des start-ups arméniennes, le secteur technologique ? Pensez-vous qu'il existe aujourd'hui un intérêt commercial à s'intéresser aux pôles européens tels que la France, Bangalore et d'autres pôles en Inde, et bien sûr au nouveau centre de demain qu'est l'Arménie ?
Ararat Mirzoyan- Absolument. C'est donc une autre direction dans laquelle nous investissons beaucoup. Vous savez, il y a plusieurs conditions préalables, et la plus importante est probablement que nous disposons des ressources humaines, des personnes, des talents qui travaillent dans ce domaine, et deuxièmement, que nous disposons de l'électricité nécessaire pour les centres de données, pour l'infrastructure. Il y a là une autre coïncidence intéressante : il y a deux jours, nous avons annoncé la mise en place d'un vaste projet d'IA en Arménie avec la participation de la société française MISTRA, de NVIDIA et de plusieurs autres acteurs, et ce n'est qu'un exemple parmi d'autres. Donc, encore une fois, quand on regarde l'IA, quand on regarde l'informatique et la coopération dans ces domaines, l'Arménie est un refuge sûr à 100 %.
Question- Monsieur le ministre Mirzoyan et Monsieur Jaishankar, quelles sont les idées intéressantes pour ces nouveaux groupes plurilatéraux en matière de connectivité qui peuvent façonner l'avenir ? Quel type de partenariats pourrait réellement consolider cette nouvelle dynamique ?
Ararat Mirzoyan- Bien, tout au long de la conversation, plusieurs expressions ont retenu mon attention. Vous avez dit « les affaires d'abord », tout le monde parlait de la perturbation des chaînes d'approvisionnement, des avantages économiques. Mais j'ai l'impression qu'il nous manque quelque chose. Si les avantages économiques sont au cœur de tout ce qui se passe dans le monde, alors l'Europe devrait probablement continuer à acheter du gaz ou du pétrole à la Russie. Ensuite, en matière de connectivité, les moyens les plus simples et les moins coûteux sont probablement au cœur des choses, alors je suis désolé de dire que l'Inde devrait se connecter au reste du monde, à l'Occident, via le Pakistan. Mais ce n'est pas le cas, cela ne se produit pas, n'est-ce pas ? Il doit y avoir une raison à cela. Cela me fait penser, en tout cas, qu'il y a quelque chose qui va au-delà des avantages économiques. Il y a des intérêts géopolitiques.
Et c'est pourquoi, j'en suis convaincu, l'Europe, la France, veut se rapprocher de l'Inde, et inversement, l'Inde veut se rapprocher de l'Europe. Car, encore une fois, si l'on parle d'avantages économiques, il existe des moyens moins coûteux et plus efficaces. Si l'on parle de la volonté et de l'aspiration à devenir une plus grande puissance, il y a toujours plus gros poissons dans l'océan. Soyons francs. Il y a les États-Unis, il y a la Chine, il y a la Russie, ils sont tous plus forts sur le plan militaire, n'est-ce pas ? N'est-ce pas ? Donc, derrière cette aspiration mutuelle à se rapprocher l'un de l'autre, je vois aussi une certaine aspiration géopolitique de la part de l'Inde et de l'Europe, et je vois un désir d'avoir davantage voix au chapitre dans les affaires géopolitiques. Je viens d'un pays tiers, ni de l'UE, ni de l'Inde, je suis arménien, n'est-ce pas ? Pourquoi est-ce que je veux soutenir cette aspiration ? Pourquoi est-ce que je veux apporter mon soutien ? Parce que je vois une certaine justification derrière cette aspiration : avoir un ordre international plus fort, plus juste et plus équitable. L'ordre international est perturbé, à commencer par la pandémie, puis la guerre en Ukraine, et c'est pourquoi le monde est devenu fou, n'est-ce pas ?
Donc, si vous voulez reconstruire l'ordre international, et si l'Europe et l'Inde veulent avoir davantage leur parole à dire dans ce domaine, alors certains pays comme l'Arménie pourraient vouloir vous soutenir dans cette démarche. Sinon, il s'agit simplement d'un désir d'avoir du pouvoir, ou d'avoir plus de pouvoir.
Ce n’était pas une réponse directe à votre question, mais ce sont les réflexions que j’avais envie de partager à partir de notre conversation. Alors, pourquoi souhaitez-vous vous rapprocher davantage ? Est-ce parce que vous partagez les mêmes idées, les mêmes valeurs ? Est-ce bien cela ? Parce que l’Inde est la plus grande démocratie du monde, et que l’Union européenne est un continent - ou plutôt l’union des pays - avec les institutions démocratiques les plus solides.
Mais nous voyons aussi que certains pays de l’UE commencent à hésiter, n’est-ce pas ? Est-ce que tout va bien à l’intérieur de l’Europe ? Est-ce que les revendications sont toujours justifiées ?
Ararat Mirzoyan (Conclusion)
Cette fois, je serai bref. La réponse de l’Arménie -la solution arménienne- face à ces enjeux, concerne d’abord la logistique : c’est le Carrefour de la Paix. C’est notre voie, notre corridor pour la connexion Est-Ouest ou Ouest-Est, Nord-Sud. Ce projet s’y consacre pleinement. Et ensuite : l’innovation, l’intelligence artificielle et les grands centres de données. J’ai déjà dit qu’en ce sens, l’Arménie est un havre de sécurité.