Vilen Gabrielyan, président de l'Union panarménienne « Gardman-Shirvan-Nakhitchevan», a accordé une interview à l'agence de presse « Armenpress » à l'occasion de l'anniversaire du massacre des Arméniens à Bakou.
-M. Gabrielyan, il y a 35 ans, ces jours-ci, les Arméniens de Bakou vivaient l’un des épisodes les plus cruels de leur histoire : massacre, persécution, violence et pillage.
-Janvier 1990 a été une période fatidique pour les Arméniens de Bakou. Le massacre qui a eu lieu entre le 13 et le 19 janvier semblait marquer la fin de la présence arménienne séculaire à Bakou, qui avait joué un rôle important dans le développement industriel et urbain de la ville, tant pendant la période tsariste que soviétique.
Cependant, au fil des années, aucune administration azerbaïdjanaise n’a été facile ou juste pour les Arméniens vivant à Bakou ou dans d’autres régions d’Azerbaïdjan, que ce soit sous le régime de Musavat entre 1918 et 1920, ou sous le pouvoir soviétique qui lui succéda. Malgré la propagande soviétique de 'fraternité et amitié', celle-ci n’a pas réussi à surmonter la haine ethnique profonde et le nationalisme qui gangrenaient la société et la direction azerbaïdjanaises.
Même pendant les années soviétiques, bien que la violence physique ne se manifestait pas toujours directement, les Arméniens en Azerbaïdjan étaient continuellement soumis à la discrimination dans divers aspects de la vie publique. Le sommet de cette discrimination fut le génocide de Soumgaït de 1988, qui marqua en réalité le début d’une chaîne d’événements génocidaires par l’Azerbaïdjan contre les Arméniens, comprenant Soumgaït, Ganja, Bakou, Shayumyan, Maragha, ainsi que de nombreuses expressions locales et individuelles de violence.
-Que s’est-il passé il y a 35 ans à Bakou pendant cette période ? Nous savons que vous et votre famille avez également été victimes de ces événements brutaux.
- Les événements de 1990 à Bakou mûrissaient en réalité dès après le massacre de Soumgaït. Les atrocités commises à Soumgaït – la violence inhumaine contre les Arméniens et leur déportation forcée – ont suscité un grand enthousiasme au sein du nationalisme azerbaïdjanais, et la grande communauté arménienne de Bakou est devenue une cible, aux côtés de la population russe, qui formait l’élite et la partie intellectuelle de la ville.
Dès 1988, les informations sur la montée du sentiment anti-arménien à Bakou étaient très difficiles à diffuser en raison du vide informationnel soviétique, laissant de nombreux Arméniens dans l'incertitude. Tandis que certains Arméniens réussissaient à fuir la ville, beaucoup continuaient à y vivre, espérant que les autorités soviétiques régulariseraient la situation. Cependant, à la fin de 1988, les pillages et violences contre les Arméniens se répandirent davantage. Les pressions psychologiques étaient combinées à des violences physiques, et à l’été 1989, les appels à la violence et les actes eux-mêmes devinrent plus massifs. Les Arméniens étaient menacés dans les rues, sur leurs lieux de travail et dans les écoles, où les élèves étaient encouragés à se retourner contre leurs camarades arméniens.
À partir du 13 janvier 1990, toutes les voies de sortie furent fermées – trains, aéroports, routes et ports – rendant impossible l’évasion des Arméniens de cette chaîne de violence. Des témoins ont rapporté des violences, des meurtres et diverses formes de persécution qui ont eu lieu à Bakou. Les sentiments anti-arméniens avaient atteint de tels niveaux inimaginables qu’un garçon azerbaïdjanais de 14 ans tua sa propre mère arménienne. Ma famille et moi avons également été forcés de quitter Bakou sous la menace de mort, perdant nos biens sur place. En cela, nous partageons pleinement la douleur et la demande de restauration des droits de la communauté arménienne de Bakou.
-Monsieur Gabrielyan, votre union soulève constamment la question de la défense des droits des Arméniens violés par les autorités azerbaïdjanaises, non seulement à Bakou mais aussi pendant la période 1988-1992. Comment évaluez-vous le potentiel de ces efforts ?
- Notre union travaille à fournir à la communauté internationale des informations détaillées sur la phase arménienne du génocide azerbaïdjanais. L’année dernière, j’ai participé à plusieurs événements organisés par l’ONU et l’OSCE, présentant les violations des droits de l’homme auxquelles ont été confrontés plus de 500 000 Arméniens de l’historique Gardman, Shirvan et Nakhichevan entre 1988 et 1992. Nous essayons de démontrer que ce que nous vivons sous les administrations azerbaïdjanaises n’est pas simplement une question de violence situationnelle, mais un génocide en plusieurs étapes qui dure depuis plus d’un siècle. Ce processus comprend non seulement l’extermination physique, la déportation forcée et le nettoyage ethnique, mais aussi la promotion continue du racisme au niveau de l’État et la constante mise en œuvre de politiques ethnocides. Le succès de ce processus dépend en grande partie de la diffusion objective et étendue des faits et de la formulation claire des revendications auxquelles le régime azerbaïdjanais actuel doit faire face.
-Comment envisagez-vous la restauration des droits des réfugiés arméniens ?
-Le processus de restauration des droits des réfugiés arméniens devrait indubitablement commencer par la demande d’élimination des sentiments anti-arméniens, des discours de haine contre les Arméniens et de l’exclusion du racisme ethnique et religieux au niveau de l’État et de la société en Azerbaïdjan. Il est impossible d’imaginer la restauration de nos droits tant que l’anti-arménianisme est encouragé chaque jour en Azerbaïdjan et qu’une génération éduquée selon les principes du 'ramilsafarovisme' grandit. La restauration complète de nos droits nécessitera des garanties internationales pour notre sécurité, sans lesquelles l’existence physique des Arméniens continuera à être menacée.
Il faut noter que la communauté arménienne déplacée des régions historiques de Gardman, Shirvan et Nakhichevan entre 1988 et 1992 a subi d’énormes pertes matérielles et patrimoniales qui n’ont pas été compensées au cours des décennies écoulées. La juste compensation de ces pertes matérielles fait partie intégrante du processus de restauration de nos droits, parallèlement au retour des personnes déplacées, à la restauration des droits nationaux, culturels et religieux, et à la garantie de la sécurité.